Petite histoire de la climatisation

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Des montagnes de neige de l’antiquité aux blocs de neige d’aujourd’hui

Quiconque serait tenté de se laisser aller à la nostalgie d’une époque plus simple doit admettre que la vie d’avant la technologie moderne comptait un certain nombre d’indéniables désagréments : les abcès dentaires, les pots de chambre, la peste bubonique — et pas de climatisation en juillet. Alors que les températures dépassent les 40 degrés dans l’est des Etats-Unis, il est intéressant de se rappeler comment on en est arrivé aux étés climatisés qui sont aujourd’hui la règle.

Jusqu’au XXe siècle, les Américains devaient s’accommoder des grandes chaleurs comme beaucoup le font encore partout dans le monde : en transpirant et en s’éventant. Il existe des systèmes de climatisation rudimentaires hérités de l’antiquité mais, pour l’essentiel, ceux-ci sont coûteux en regard de leurs performances, ce qui les réserve aux plus fortunés.

Aux Etats-Unis, le changement s’amorce avec le XXe siècle, qui voit se diffuser le ventilateur électrique dans les foyers. Les climatiseurs n’ont commencé à se propager au-delà des frontières américaines que depuis deux décennies environ, grâce à la confluence de la montée d’une classe moyenne globale et d’innovations dans le domaine de technologies économes en énergie.

Le souci de maîtriser les températures intérieures est né dans la Rome antique, époque à laquelle les citoyens aisés tiraient parti du remarquable système d’aqueducs pour faire circuler de l’eau fraîche dans les murs de leurs foyers. Au troisième siècle, l’empereur Elagabalus passe à l’étape supérieure et fait construire une montagne de neige — importée des montages à dos d’âne — dans le jardin jouxtant sa villa, pour avoir de la fraîcheur en été.

L’entreprise, merveilleusement inefficace, annonçait l’approche de «réussite à tout prix» qui sous-tend nos modernes systèmes de climatisation centralisée. À l’époque déjà, on se moquait de l’idée consistant à combattre la chaleur au moyen de technologies dernier cri. Sénèque, le philosophe stoïcien, se moquait des «jeunes trop minces» qui mangent de la neige pour rester frais, au lieu d’endurer la chaleur comme un vrai Romain.

Ce genre de luxe a disparu au cours du Moyen-Age et il faut attendre le XIXe siècle pour voir de nouveau mener en Occident des recherches sur la climatisation à grande échelle, notamment aux Etats-Unis, où des ingénieurs dotés d’un solide financement ont entrepris de s’attaquer à la question. Dans la période intermédiaire, l’éventail fut la principale technique de refroidissement.

On utilisait déjà l’éventail en Chine voici 3 000 ans, et c’est à un inventeur chinois du deuxième siècle que l’on attribue le premier ventilateur de plafond rotatif (alors manuel). Avant l’ère moderne, un rôle primordial incombait à l’architecture dans le contrôle de la température. Dans les constructions traditionnelles du Moyen Orient, les fenêtres s’ouvrent à l’opposé du soleil, et les immeubles les plus grands sont dotés de «tours à vent» permettant de capter et de faire circuler les vents dominants.

Vers la fin du XIXe siècle, les ingénieurs américains disposent des fonds et de l’ambition nécessaire pour reprendre les choses là où les Romains les ont laissées. En 1881, mourant, le président James Garfield peut échapper un temps aux étouffantes chaleurs estivales régnant à Washington D. C grâce à un laborieux dispositif reposant sur un flux d’air frais passant au travers de draps de cotons trempés dans l’eau glacée. Comme Elagabalus avant lui, le confort de Garfield requiert une énorme consommation d’énergie. En deux mois, ses gardiens ont paraît-il utilisé plus de 200 tonnes de glace.

L’air conditionné à la conquête de l’Amérique

La percée, bien entendu, est venue avec l’électricité. La mise au point par Nikola Tesla du moteur à courant alternatif rend possible l’invention des ventilateurs oscillants au début du XXe siècle. En 1902, un ingénieur new-yorkais âgé de 25 ans du nom de Willis Carrier invente le premier dispositif de climatisation moderne. Ce système mécanique, qui fait circuler de l’air par des bobines refroidies par eau, n’est toutefois au départ pas destiné au confort humain : il était conçu pour contrôler le taux d’humidité dans l’imprimerie où il travaillait.

En 1922, il enchaîne avec l’invention du premier système de réfrigération centrifuge, doté d’un compresseur central permettant de réduire la taille de l’appareil. Il est dévoilé au public en 1925, au cours du week-end du Memorial Day, lors de l’inauguration de l’installation au Rivoli Theater à Times Square. Des années durant, les gens iront s’entasser dans les salles de cinéma climatisées durant les chaudes journées d’été, donnant naissance au blockbuster de l’été.

On peut dire sans exagérer que l’invention de Carrier a façonné l’Amérique du XXe siècle. Dans les années trente, l’air conditionné a conquis les grands magasins, les trains et les bureaux, faisant grimper en flèche la productivité des travailleurs en été. Jusqu’alors, cours centrales et fenêtres ouvertes en grand constituaient la seule façon de se rafraîchir. La climatisation résidentielle met plus de temps à se généraliser.

En 1965, elle n’équipe encore que 10 % des foyers américains, selon la Carrier Corporation. Dans le sud, les familles font face en dormant sur le porche, voire en conservant les sous-vêtements dans la glacière. En 2007, toutefois, le chiffre était passé à 86 pour cent. L’air frais se répandant dans le pays, les villes du sud, jusque-là invivables en été, apparaissent comme des lieux de vie et de travail plus attrayants, déclenchant un déplacement sur le long terme de la population des Etats-Unis.

Les Européens ont été plus longs à adopter la climatisation, mais comme la bière fraîche et l’eau glacée, l’idée commence à prendre là aussi. Les données concernant la diffusion de la climatisation dans les pays en développement sont rares, mais on peut dire que l’essentiel des Africains et des habitants d’Asie du Sud doivent encore faire sans.

Un récent article du Times of India sur la meilleure façon de rester au frais en été recommandait de porter du lin et de boire abondamment pour éviter l’insolation. La version moderne et made in India du thé glacé sur le porche? Un Nimbu paani acheté à un vendeur ambulant.

Will Oremus

Traduit par David Korn

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